Des sous-sols aux derniers étages, tout l’immeuble n’était qu’un parking. Il devait pourtant y avoir des bureaux quelque part. Je cherchais un Monsieur Abel qui m’avait écrit dix-huit ans auparavant. Je relus sa lettre, deux lignes à l’encre bleue, avec des ratures : « je m’enfonce dans un passé de plus en plus lointain. Deux brûle un. » Puis une porte s’ouvrit. J’étais toujours dans ma voiture et m’engageai dans une rue déserte bordée de bâtiments de verre et de béton, et de maisons en ruines. Il me sembla que j’étais à Berlin en 1945, dans un char. Je fis un tour dans le secteur de carrefour en carrefour. Ça tirait encore dans les coins. Des balles sifflaient sur mon blindage. Soudain, une jeune femme aux cheveux courts surgit devant moi et me fit signe de la suivre. Je descendis. Elle m’emmena dans une taverne enfumée. Toutes les tables étaient prises, tous les survivants semblaient s’être rassemblés là. Quand je pus poser mes fesses sur un banc, elle se glissa sur mes genoux. Elle me dit qu’elle s’appelait Sophie, et passa sa main dans mes cheveux. En me regardant le front, elle me demanda si j’étais passé dans le “quartier” et si les Juifs que j’y avais vus étaient endimanchés. Je n’avais vu personne et ne répondis pas. — Est-ce que tu connais M. Abel, lui demandai-je. Un sourire passa sur son visage comme une ombre. Elle me prit par la main, me fit monter un escalier et entrer dans une chambre. Mon fils était là, en compagnie d’une fille en robe bleue, très mignonne, avec de grands yeux noirs, amoureux et tristes. Ils ne s’aperçurent pas de notre présence. Il y avait un vieux fauteuil Voltaire dans un coin dans lequel j’allai m’asseoir. Sophie grimpa à nouveau sur mes genoux. La fille disait à mon fils : « je vais te donner du plaisir, laisse-toi faire ». J’étais terriblement gêné. Je cherchais une fenêtre à ouvrir mais la pièce était aveugle. Sophie, elle, les regardait avec un air terrifié, alors que je détournais la tête et pensais à M. Abel et aux incendies autour de nous. « Deux brûle un, murmura-t-elle, deux brûle un ». Et dans un éclair, tout disparut.
Si je continue à faire des rêves pareils, je vais pouvoir écrire un scénario pour David Lynch.