— La semaine prochaine, Maman, nous fêterons ton anniversaire.
— Ah bon ? Et quel âge j’aurai ?
— Quatre-vingt-douze ans.
— Ooooh!… Que je suis vieille !
— Tu te sens vieille ?
— Oui, bien vieille…
Elle me regarde, et je saisis l’occasion d’entamer avec elle un de ces échanges poétiques qui stimulent en même temps sa mémoire.
(Moi) Quand vous serez bien vieille, au soir, (elle, sans hésiter) à la chandelle,
(elle cherche la suite, je reprends) Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : (je marque une petite pause)
Ronsard (elle, soudain lumineuse, en détachant bien les mots) me célébrait du temps que j’étais belle
Elle conserve un instant son air radieux, puis soupire, et commente :
— Oh, il m’a bien laissé tomber celui-là !
— Qui ça ?
— Eh bien, Ronsard !…
Je ris. Elle ne comprend pas pourquoi, et poursuit, après un temps de réflexion :
— Mais je ne lui en veux pas… Sans cette chanson, d’ailleurs, qui se souviendrait de moi ?
Oui, c’est magnifique ! J’aime beaucoup.
Magnifique ! et j’ai envie de dire Mignonne, allons voir…