Je l’ai vu, de loin, s’agiter avec un gros talkie-walkie noir à la main. Il demandait instamment quelque chose, mais je n’ai pas entendu quoi. Lorsque je me suis approché de la sortie du jardin où il était en faction, j’ai compris par bribes qu’il négociait l’autorisation de s’absenter, pour aller rendre visite à un proche qui venait d’être hospitalisé, peut-être sa femme, ou son frère. Mais on la lui refusait. Il a jeté violemment l’appareil sur le rebord de sa guérite. Au moment où je suis passé à côté de lui, il était très agité, il écumait tout seul : « – Ils commencent à me faire chier, ces petits chefs de mes c… Ils m’ont jamais vu en colère ? Ils vont voir !… C’est que je suis vosgien, moi… ça peut péter !… Je suis capable… Je suis capable d’enlever ma tenue et de rentrer chez moi !… Non mais !… »
Ça aurait pu être drôle. Ça ne l’était pas du tout. Dans sa fureur maladroite, j’entendais un pur désarroi, une clameur rauque, quelque chose de blessé et de profondément malheureux, au point qu’en y repensant aujourd’hui, avec un peu de recul, moi qui n’ai vécu cette scène que quelques secondes, moi qui ne me suis pas arrêté, je me sens mal à l’aise au souvenir de cette voix, celle d’un faible qui hurlait, celle d’un sans grade qu’on écrasait, celle d’un petit terrassé par la douleur de l’injustice.
et ils sont combien comme ça ??? un sacret paquet !