Michel Houellebecq, dont j’aime beaucoup les livres, a publié récemment une tribune dans le New York Times, que j’ai trouvée sans intérêt. A l’exception d’une phrase : « Contrairement à une idée répandue les Français sont plutôt dociles, plutôt faciles à gouverner. Mais ils ne sont pas pour autant complètement idiots. Leur principal défaut résiderait plutôt dans une sorte de frivolité oublieuse qui rend nécessaire, périodiquement, de leur rafraîchir la mémoire.»
Frivolité oublieuse : la formule est heureuse, et me semble en effet bien caractériser un aspect marquant de notre tempérament national. Mais là où Houellebecq voit un défaut, et même notre « principal défaut », je vois au contraire une immense qualité. Cette inclination pour ce qui est léger me semble l’une des plus grandes vertus que notre peuple puisse avoir. Plus qu’une vertu, c’est une grâce : la capacité à jouir d’un parfum, d’un sourire, d’un bon mot, d’une silhouette, d’un verre de vin, d’un café en terrasse, est le contraire du sinistre esprit de sérieux. Elle s’apparente à la « gaîté française » dont j’ai déjà souvent parlé à propos de La Fontaine et de Brassens, grâce à laquelle, en France, la vie prend un charme particulier, et tout finit par des chansons.
L’oubli dont Houellebecq dit qu’elle s’accompagne est-il un mal ou un bien ? Le philosophe Alain remarquait que « la frivolité n’est point du tout naïveté. L’ingénu n’est nullement frivole; au contraire il prend tout sérieusement et porte sa lanterne dans tous les coins. Le frivole sait très bien où sont les mauvais coins, mais il s’en détourne. » Certains souvenirs sont toxiques. Si l’on veut les conserver toujours à l’esprit, on s’empoisonne la vie. S’en détourner est souvent un acte de santé. L’oubli n’est pas l’ignorance, c’est un ménage que l’on fait dans sa tête, un nettoyage salutaire qui nous permet de vivre dans un cadre agréable, sans s’encombrer de tous les déchets de notre histoire et de l’histoire du monde.
(En cherchant une illustration pour cet article, j’ai découvert ce livre «Les bases de la frivolité en trois étapes » (hélas épuisé), qui traite de la frivolité comme type de dentelle, ce qui souligne au passage tout l’art qu’il faut parfois pour être frivole et produire du léger.)
Bien d’accord !