Alphonse et la troisième personne

Alphonse et la troisième personne

A Amou, dans mon enfance, un jardinier nommé Alphonse travaillait au château. Il était la plupart du temps entre deux vins, et zigzaguait derrière les grilles avec sa bêche et sa fourche sur l'épaule. Mais il parvenait fièrement à tenir ses plates-bandes à peu près droites.

La châtelaine de l'époque, on ne la voyait jamais. On disait qu'elle ne s'était pas encore remise de la Révolution. Elle traitait son personnel à l'ancienne, exigeant notamment qu'il s'adressât à elle à la troisième personne. – Est-ce que Madame la Comtesse prendra son thé au jardin ? devait sonner comme une phrase exquise à ses oreilles. Elle impressionnait encore son monde, par son titre et le prestige ancien qui s'y accrochait.

Un jour, elle convoqua Alphonse. Elle avait un reproche à lui faire. On ignore à quel sujet, et l'on ne sait pas les propos qu'ils échangèrent, mais un témoin rapporta qu'Alphonse sortit de leur entretien le teint rubicond, fit halte sur le perron du château pour remettre sa casquette, et se retourna en articulant d'une voix forte et rustique : – Et que Madame ne m'emmerde plus !

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