Les pompiers et le Samu avaient décidé de la jouer grand spectacle. Une évacuation de Papa, avec perfusions et bonbonne d’oxygène, par la fenêtre de sa chambre, et une descente du quatrième étage au rez-de-chaussée par la grande échelle, sur un brancard suspendu dans le vide, façon monte-meubles, avant de filer vers l’hôpital.
On vit donc un camion rutilant et, si j’ose dire, flambant neuf, venir barrer la rue. Tellement neuf cependant qu’il n’avait pour ainsi dire jamais servi, et qu’en tout cas on ne s’était pas aperçu que quelque chose ne marchait pas, ou que son équipage ne savait pas encore le manœuvrer : la grande échelle sur le toit du véhicule resta obstinément bloquée à l’horizontale, au grand dam des gamins du quartier, et des voisins, qui escomptaient déjà assister à quelque attraction. Au bout du compte, c’est par des moyens plus low-tech que Papa fut évacué : à bout de bras, par six hommes, en empruntant simplement l’escalier.
Comme il multiplie depuis trois mois les allers-retours entre l’hôpital et la maison, j’ai un moment espéré que cette sortie acrobatique ne serait peut-être que partie remise, mais les médecins des urgences disent qu’il faut s’attendre désormais à très brève échéance à un autre grand saut, plus banal mais définitif.
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Nous pensons biens à toi cher Jean-Pierre. Bises très affectueuses. AM et FF
Le grand saut- il semble prêt ou plutôt résigné. Il a aimé la vie, Albert, mais depuis qu’il est diminué et dépendant, il a perdu le goût. Il est très entouré d’amour par ses enfants, leurs soins l’apaisent.
Lorsque la personne très fervente qui s’occupe de lui et de son épouse vient prier à son chevet, il lui dit sa reconnaissance pour tout. Un merci qui fait du bien, pourtant il est agnostique.
Il me souvient d’un article où tu racontais que ta maman se préoccupait du bien être de ton papa “maintenant que tu es veuf”. Vivre dans un amour pareil, c’est une belle vie.