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Ma chronique “lecture et abstersion” soulève une angoissante interrogation : que se passe-t-il si, pour « se nettoyer le derrière après défécation », on utilise par erreur un livre saint ?
La prévoyance des théologiens de l’Islam – apparemment ce sont eux qui ont le plus travaillé la question – est impressionnante, non moins que leur sagesse, qui les a conduits à énoncer la fatwa suivante : « Si un feuillet du Coran, ou un papier portant le nom de Dieu ou du Prophète ou de l’un des imams tombe dans les w-c, il est absolument indispensable de l’en retirer, même si cela entraîne des dépenses ».
J’aime à imaginer le déroulement de la séance au cours de laquelle ce sujet est venu à l’ordre du jour. (C’était probablement en Iran, au début des années 80, puisqu’il paraît que c’est à l’ayatollah Khomeiny lui-même qu’on doit cette avancée essentielle de la doctrine). Les mollahs commencent par poser le principe de la récupération des saints écrits. Puis ils réfléchissent aux différents cas de figures qui peuvent se présenter. Le plus simple consiste à plonger la main dans les latrines, et à en retirer la ou les feuilles souillées. Bien. Mais quelle est la marche à suivre si l’on a affaire à des toilettes dont le dispositif est trop profond, ou trop sophistiqué, pour permettre une récupération directe, et qu’il faut casser la fosse, ou démonter les tuyaux, ou descendre dans l’égoût ? Eh bien on emploie les grands moyens : on fait intervenir des ouvriers, on emploie au besoin un outillage spécial, et c’est pourquoi la fatwa précise utilement : même si cela entraîne des dépenses.
Un mufti plus pessimiste que les autres fait cependant valoir qu’il y aura toujours des circonstances où l’on manquera à la fois de longueur de bras et d’argent. D’où l’ajout final : « Au cas où ce ne serait pas possible, il faudrait abandonner ces w-c, jusqu’à ce que l’on ait la certitude que ce papier est pourri ».
Cas terrible, dont j’espère qu’il ne s’est pas produit et ne se produira jamais.
(Je tire cette fatwa du livre de Jean-Michel Ribes, le Rire de résistance. Il en indique lui-même deux sources, que je n’ai pas vérifiées : Fatwa, de Carla Kapsïeva, et Viridis Candela, revue du collège de Pataphysique, n°6, 8è série)