Claudine et Valéry, même combat

J’observe Claudine faire quelques dédicaces accompagnant l’envoi de son livre à des journalistes. C’est un exercice compliqué, qui me remémore une anecdote que m’avait racontée le Professeur Jean Bernard.

Lorsqu’il était encore jeune étudiant en médecine, Jean Bernard avait été invité à passer une journée dans la propriété de campagne de son professeur de l’époque. Arrivé sur les lieux, il eut la surprise et le bonheur de découvrir que parmi les convives, il y avait Paul Valéry. Nous étions à la toute fin des années vingt, et Valéry était au sommet de sa gloire.

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Or, le Maître venait de publier un nouvel ouvrage, et avait ce jour-là une pile d’exemplaires à dédicacer. Il s’installe donc après le déjeûner sur la terrasse, à un bureau qu’on y avait apporté pour lui. Bien calé dans son fauteuil, il sort son stylo et prend le premier exemplaire de la pile, qu’il ouvre à la page de titre. Puis il laisse son regard errer longuement sur le paysage magnifique, la rivière, les bois, le ciel. Soudain, comme en un spasme, il plonge dans le livre, y trace vivement quelques mots, souffle sur l’encre pour la faire sécher, et le referme, en le posant à sa gauche. Il attrape alors l’exemplaire suivant. La même séquence se reproduit.

Jean Bernard observe la scène à distance. Il est surexcité à l’idée qu’il est en train de voir le génie en action. Il se demande quelles fulgurances peuvent bien jaillir ainsi de sa plume. Il se consume de fascination et de curiosité. Or voici que, pour satisfaire à un besoin naturel, le Maître se lève et s’éloigne de sa table. Jean Bernard n’y tient plus. Il s’approche, s’empare d’un des exemplaires fraichement dédicacés, et lit: “Cordialement, Paul Valéry”.

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Claudine

Malgré la chute la comparaison reste flatteuse ! Je n’atteins pas encore la concision de Valéry ; mais novice en la matière, je m’applique à plus d’originalité que le maître…