J’ai travaillé, à mes débuts dans la chanson, et juste avant, avec un jeune compositeur et pianiste assez fécond, qui s’appelait Raphaël Bancou. J’aimais bien ses musiques. Elles m’inspiraient des paroles que je n’aurais sans doute pas écrites sans leur support. Partie pourquoi, Deux âmes sur leur tige et Un miracle, que l’on trouve sur mon premier album, sont trois exemples de notre collaboration de compositeur et de parolier.
Mais en fait, dans ces années 2002-2005, j’écrivis aussi sur des musiques de Raphaël une dizaine de chansons fort éloignées de mon univers habituel. Chaussée d’Antin est l’une d’elles. L’atmosphère sonore, je ne sais pourquoi, m’avait inspiré cette complainte d’un clochard fétichiste, rêvant de se faire piétiner par les femmes à la sortie des grands magasins.
Je suis clochard
J’habite à la chaussée d’Antin
J’ai le regard
Au niveau du sol parisien
Je fais le soir
La sortie des grands magasins
Pour recevoir
La charge folle des escarpins
Comme un troupeau d’animaux fauves
Se déplaçant vers un point d’eau
Les chaussures noires rouges mauves
Se pressent près du caniveau
Tapent tapotent les semelles
Trottent trottinent les souliers
De tant de femmes toutes belles
Qui m’ignorent avec leurs pieds
Tant de chevilles
Tant de jambes gainées de noir
Talons aiguilles
Où glisse en montant mon regard
Parfois je rêve
Qu’une jupe là-haut si haut
Se fend se lève
Sur son secret si sombre et chaud
Mille chaussures vers moi s’amassent
Un feu les bloque en bord de rue
Finissant par manquer de place
Elles me marchent dessus
Et l’on me piétine
Bottes et bottines
Savates et mocassins
Les sabots les mules
Sans aucun scrupule
Foulent mes pieds mes mains
A terre je suis à terre
Ecrasé laminé
A terre Mais je regarde en l’air
Lignes de fuite
Courbes douces mollets galbés
Ma peau palpite
Mon cœur bat et ma bouche bée
Parfois il semble
Qu’une robe là-haut si haut
S’entrouvre et tremble
Sur son secret si sombre et chaud
Puis le troupeau soudain s’ébroue
Ça claquète sur la chaussée
Ça s’égaye parmi les roues
La rue est traversée
A peine le temps de le dire
A peine le temps de respirer
Qu’une nouvelle cohorte de cuir
Déjà s’amasse sous mon nez
Parfums de sandales
Odeur de scandale
Je suis à terre au-dessous d’elles
Visions de dentelles
Juste au-dessous d’elles
J’entrevois le ciel
L’enregistrement est un enregistrement de travail d’une qualité contestable, mais il donne une idée du morceau.
Cela me rappelle l’affiche (et une scène) du film de Truffaut “L’Homme qui aimait les femmes”avec Denner.