Il faudra se demander un jour pourquoi les deux figures sans doute les plus extraordinaires de la civilisation occidentale ne se sont exprimées qu’oralement. Socrate et Jésus ont parlé. Ils n’ont pas écrit.
Leurs propos, bien sûr, ont été transcrits par leurs disciples, et grâce à cela nous les connaissons. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que s’ils avaient écrit eux-mêmes, leur enseignement n’aurait pas eu tant de poids. En parlant, ils agissaient corps et âme. Ils s’exprimaient dans un mode sensible. Leurs voix, leurs gestes, leurs regards, leur charisme, ont dû compter pour beaucoup dans la trace qu’ils ont laissée. S’ils s’étaient enfermés avec du parchemin et de l’encre, dans le silence d’une pièce, pour produire des livres, je doute que leurs pensées eûssent à ce point imprimé le monde.
Une incandescente qualité de présence devait irradier leurs discours. Une force que seul l’oral pouvait faire exister. Une cohérence complète entre verbe et chair. La puissance du verbe fait chair, et de la chair devenue verbe. Aucune séparation entre la pensée et la vie, mais au contraire une équivalence parfaite entre les deux. C’est cela qui a été entendu.