El triunfo de la muerte

 

Il se trouve à Madrid au musée du Prado un tableau de Bruegel que je vais vous décrire.

Au loin la terre est grise et le ciel obscurci; dans les fumées rougeoient des reflets d’incendie; derrière la montagne on pressent que le monde n’est plus qu’un grand brasier ou qu’un désert immonde. Il reste encore un coin fleuri au premier plan où s’affairent toujours les derniers des vivants, et que font-ils ? Aveuglement ou vanité, l’un d’entre eux joue du luth, un autre de l’épée… Ils n’en ont plus pour longtemps. Sur sa haridelle, squelettique, multiple, hideuse, universelle, la Mort… la Mort s’avance, et triomphe, et moissonne, sans distinction de rang de race ou de personne. Elle est comme un berger rassemblant son troupeau, forçant ses bêtes effarées vers un enclos, et là, les broie, les tord, les précipite vers un trou hallucinant : une gueule d’enfer.

Bruegel El triunfo de la Muerte

Maintenant vous sortez du musée du Prado. Nous sommes en hiver. Il fait nuit. Il fait beau. Vous traversez le parc l’humeur un peu défaite. Il fait nuit, il fait beau, et vous levez la tête. Au loin le ciel est vide et déchire ses voiles : ça et là, comme autant d’incendies, des étoiles, des trous noirs une matière éparse : l’univers n’est rien qu’un grand brasier ou qu’un glacial désert. Il possède un seul coin fleuri et nous y sommes : une infime planète, la Terre, et nous les hommes, l’esprit plein de torpeur, et plein de vanité, nous y jouons du luth ou tirons nos épées.


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