Si fueris Romae

Récemment, j’ai passé une soirée étonnante en compagnie de trois amis de jeunesse : ils se sont avérés de redoutables latinistes. J’étais ébahi de découvrir l’aisance avec laquelle ils manipulaient une langue apprise il y a cinquante ans, et de les voir se lancer des défis à coup de supins et d’ablatifs absolus.

Je me suis tenu à l’écart de la compétition : le latin, même au lycée, n’a jamais été mon fort. On a beau vanter sa logique et la rigueur de sa construction, je n’ai jamais eu le déclic. Autant je parvenais aisément à me glisser dans les textes grecs, autant j’ai toujours trouvé le latin hermétique. Si j’ai pu faire illusion dans la matière, c’est que mes professeurs n’ont jamais fait preuve d’une grande originalité dans le choix des versions qu’ils me donnaient à faire, si bien qu’en cherchant aux bons mots, dans le Gaffiot, il n’était pas rare que j’en trouve des passages entiers déjà traduits.

Bref, pour en revenir à mes amis, je les entendais s’empoigner autour de la phrase suivante : Si fueris Romae, Romano vivito more ; si fueris alibi, vivito sicut ibi (Si tu es à Rome, vis comme les Romains ; si tu es ailleurs, vis comme on y vit). Tandis qu’ils disputaient de la tournure utilisée, je me délectais du bon sens de la formule et de sa sagesse concise, et j’appris, grâce à Wikipedia, qu’elle était de Saint Ambroise de Milan. Ambroise l’avait prononcée en réponse à une question de son disciple, le futur Saint Augustin, lequel, devant se rendre à Rome, où le repos se prenait le dimanche, et non le samedi comme à Milan, avait demandé à son maître quel jour il devrait chômer.

Montaigne a repris l’idée, et l’a reformulée à sa manière : « C’est la règle des règles, et générale loi des lois, que chacun observe celles du lieu où il se trouve ». La proposition est d’un pragmatisme bienvenu. Elle gagnerait à être observée davantage. S’il ne tenait qu’à moi, j’en ferais volontiers un sujet de méditation pour ceux qui prétendent qu’il n’y a rien d’anormal à porter le voile intégral dans les rues de Paris tout comme pour ceux qui jugent qu’une femme occidentale n’a pas à se couvrir à La Mecque.

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Bruno Sérignat

Ta dernière remarque est frappée au coin du bon sens !