Sed non satiata

Je n’y avais pas d’abord prêté attention, mais la page des Fleurs du mal que Maman lisait l’autre jour (on le voit en examinant d’un peu plus près la photo que j’avais publiée) était celle du poème Sed non satiata, ce qui signifie « mais non rassasiée », en latin. Pourquoi ce titre ? Parce que Baudelaire y parle d’une femme de plaisir, en reprenant une expression qui se trouve chez Juvénal.

Les Satires de Juvénal sont l’un des livres les plus féroces, les plus emportés et les plus noirs qui se puissent lire. (En s’y plongeant, on se dit que la chute de Rome avait commencé bien avant Saint Augustin.) Or dans la sixième de ses Satires, Juvénal parle de Messaline, la femme de l’empereur Claude. Il écrit que dès que celui-ci se mettait à dormir, elle quittait le lit impérial et courait au bordel, où une cellule lui était réservée. Là, « les seins maintenus par une résille d’or, elle se prostituait en découvrant son ventre », enlaçant et cajolant tous les hommes qui se présentaient. Puis, quand fermait la boutique, elle se retirait à regret, la dernière, « ventre en feu, éreintée, fatiguée des hommes, mais non pas rassasiée ».

La formule exacte, en latin, est lassata viris necdum satiata : « lasse des hommes sans en être encore repue ».

Ayant découvert ce que je viens d’écrire, je me suis surpris à me demander si ce poème conservait encore, dans l’esprit engourdi de Maman, le pouvoir d’animer quelque vision estompée de luxure et de débauche, et d’y faire résonner, même de façon très lointaine et très assourdie, les échos fantasmés du stupre et du scandale.

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