Les gilets jaunes et le théorème de Mencken

Bien que son énoncé apparent soit, à mon sens, assez simple (comment faire pour que toute personne qui travaille puisse ne pas avoir systématiquement des angoisses de fin de mois ?) le problème des gilets jaunes est complexe. Derrière la question des taxes sur les carburants et du pouvoir d’achat il y a une exigence de justice (fiscale, sociale) et de considération. Derrière cette exigence il y a l’expression d’une rupture radicale de confiance vis-à-vis des élites. Et derrière cette rupture un désespoir plus ou moins conscient face à l’avenir dont le monde accouche sous nos yeux : dérèglement climatique, inégalités gigantesques, migrations massives, destruction de la biosphère. Le fait que le futur soit bouché rend le présent d’autant plus inacceptable. Le système fonce dans le mur, et chacun cherche à sauter du train.

La tradition nationale, puisque l’on est en France, veut que l’on fasse la révolution et que l’on s’en prenne au gouvernement. Le gouvernement a certainement sa part de responsabilité et quelques éléments de solution dans sa boîte à outils. Mais ce qui me frappe dans cette situation c’est que, sous des formes diverses, elle existe partout. Les gilets jaunes ne sont pas tout seuls : chaque peuple refuse à sa manière le futur désespérant qui l’attend. The Guardian a publié la semaine dernière deux articles dont je recommande la lecture : Why is populism booming? Today’s tech is partly to blame et Why we stopped trusting elites. Même si le second se concentre sur des exemples pris dans l’histoire récente du Royaume Uni, ces articles montrent bien comment, sous des moutures différentes (Brexit, Trump, Italie de Salvini, Brésil de Bolsonaro…), la même logique et les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans toutes les démocraties occidentales.

On doit au satiriste et libre-penseur américain H. L. Mencken le théorème suivant : « A tout problème complexe il existe une solution claire, simple, et fausse ». Dans les circonstances actuelles, le populisme semble avoir toutes les qualités requises pour s’imposer.

© Michel Kichka

https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/nov/29/populism-tinder-politics-swipe-left-or-right-unthinkingly?
https://www.theguardian.com/news/2018/nov/29/why-we-stopped-trusting-elites-the-new-populism?

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Bertrand de Foucauld

Bonjour Bruno. Je comprends vos arguments. Mais les premières personnes à apprécier le fait de pouvoir acheter des produits de consommation courante à des prix bas sont justement celles faisant partie des CSP dites “moyennes” ou “populaires”.
La mondialisation actuelle (la Chine était le premier exportateur mondial au XVIIIe siècle, ce qui nous avait amené à “chiner des chinoiseries”) nécessite très probablement un nouveau cadre juridique afin de redéfinir quelques règles de bonne conduite. Règles qui seront immédiatement détournées mais feront le bonheur de quelques avocats d’affaires. 😀

SERIGNAT Bruno

Et si on assistait aux limites de la mondialisation ? Lorsque de grandes multinationales font fabriquer à bas coût leur production dans des pays en voie de développement, on assiste inévitablement à un dumping social qui ruine les classes moyennes des pays développés : hélas seuls les bénéfices immédiats intéressent les actionnaires de ces grandes sociétés apatrides. Cette opposition entre une élite toujours plus riche et la masse des citoyens toujours plus pauvre ne risque-t-elle pas de déboucher sur les pires excès ? Et “le populisme” que redoutent tellement les bonnes âmes élitistes n’est peut-être pas la pire des solutions…