Dix soldats en file indienne

La littérature fournit parfois l’occasion de réviser ses mathématiques. Illustration avec cet extrait de Cosmos, de Witold Gombrowicz, dans lequel un personnage nommé Lucien en interroge un autre, nommé Léon :

« Imaginez dix soldats qui vont l’un derrière l’autre, en file indienne, à votre avis combien de temps faut-il pour épuiser toutes les combinaisons possibles de leur ordre de marche, si l’on met par exemple le troisième à la place du premier et ainsi de suite… et si l’on suppose qu’on effectue un changement par jour ? »

Interrompant sa lecture, le lecteur se met à réfléchir. Pour celui qui occupe la première position, dix possibilités. Pour la seconde, neuf. Pour la troisième huit. Et ainsi de suite. La réponse est 10! (factorielle 10). Reprise de la lecture :

« Léon réfléchit.
— Trois mois, plus ou minus.
Lucien répondit :
— Dix mille ans, ça a été calculé.
— Mon cher… dit Léon. Mon cher… mon cher… »

Nouvelle interruption. Ça fait combien, au fait, 10! ? Ouverture de l’appli calculette sur le smartphone. 10x9x8x7x6x5x4x3x2x1 = 3 628 800. Divisé par 365,25 (pour tenir compte, à peu de chose près, des années bissextiles) : 9935. Soit en effet quasiment dix mille ans ! Rien qu’avec dix soldats en file indienne. Incroyable ! Ajoutez-en un onzième, et vous avez passé tout le temps depuis l’apparition de l’espèce humaine à faire permuter vos troufions. Allez jusqu’à 15, vous remontez jusqu’à la naissance de la Terre.

« — Mon cher… dit Léon. Mon cher… mon cher… »

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Brian A Thompson

Devant ces considérations, comme Pascal devant l’espace, « je m’étonne et je m’effraie ».

Bertrand de Foucauld

Cette référence littéraire nous entraîne à réviser également notre Histoire. Les soldats français furent effectivement bien statiques dans leur forteresse Maginot. On connaît le dénouement, face à la “Guerre Eclair” adoptée par l’armée Nazie. Cela me fait penser au témoignage de plusieurs militaires, justement à propos des moyens – actuels – de l’armée française : certains matériels datent d’une cinquantaine d’années!

Sinon, pour revenir à Witold Gombrowicz, je pense que ce n’est pas le fait que je vois ou que j’interprète une chose qui la fait exister : ayant étudier un peu la géologie, bien des choses me précèdent, à part mon téléphone portable 😀 . Eventuellement, je peux réfléchir au sens que tel objet ou évènement reflète pour moi. Mais vient, alors, la question de la vie et de la mort, face à des moments dramatiques comme la guerre ou le déracinement (forcé), auxquels sont toujours confrontés beaucoup d’être humains. Une autre manière de poser la question : face à la mort (de mes racines, de la vie de mes proches, de mes repères), face au mal organisé, quel est le sens de la vie?

En ce qui me concerne, je tache de répondre à cette question en étudiant, depuis dix-neuf ans, les liens entre les territoires locaux et leurs habitants. Comme chaque espace est unique, les combinaisons sont infinies et, en même temps, les motivations profondes tendent à être souvent les mêmes : sexe, argent et loin devant, le Pouvoir! Une solution, peut-être : prendre conscience de notre petitesse, face au monde qui nous entoure, mais aussi de notre beauté et génie humains, et les tourner non pas vers notre nombril mais mais vers l’extérieur de nous-même en un feu d’artifice de vie et de joie partagé.

Merci, cher Jean-Pierre, de nous chanter ta vision du monde, plus positive que celle des existentialistes.

Pierre-Paul Fourcade

Ils sont trop statiques vos troufions. Faites-les donc bouger toutes les 5 minutes et ça les occupera jusqu’à la retraite (l’âge de) !