Deux souvenirs d’Higelin

​J’ai deux souvenirs de Jacques Higelin.

Le premier, en tant que spectateur, à Bourges en 2006, dans la grande salle de la maison de la culture. Arthur H avait fait la première partie de la soirée. Il devait assurer la deuxième. Les organisateurs, murmurait-on, avaient espéré que cette juxtaposition du fils et du père pourrait donner lieu à un duo. Il n’en fut rien. Arthur H sorti de scène, l’attente s’éternisa. Le public était averti des excentricités du bonhomme. Il patienta tranquillement plus d’une heure et demie.

Il était minuit passé quand Higelin entra en scène. Il était d’une humeur exécrable, et manifestement un peu imbibé. — Ça m’emmerde d’être ici… Je sors d’une tournée d’un an avec Charles Trénet… (Son spectacle Higelin enchante Trénet était une relecture enthousiasmante du « fou chantant ».) Je ne peux plus le supporter, Trénet… Alors je m’étais mis dans mon trou pour écrire des nouvelles chansons, et voilà qu’on m’en sort pour que je chante des vieilleries !… Et pourquoi ? Parce que c’est les 30 ans du Printemps de Bourges, et que j’ai eu le malheur d’être là il y a trente ans !… Alors je m’attendais quand même à certains égards… Mais tu sais ce qu’il y a dans ma loge ? Rien ! Une pomme ! Une pomme pour les artistes qui étaient là y’a trente ans et qui sont assez cons pour revenir !… Fait chier…

Puis il a pris une guitare, a commencé à jouer, et l’a jetée par terre au motif qu’elle était mal accordée. Et il est sorti en jurant. La salle a commencé à manifester. On n’avait pas attendu si longtemps pour si peu. Au bout de cinq minutes, il est revenu, râlant toujours. C’est alors qu’une petite fille monta sur la scène, où elle avait été propulsée par ses parents. Elle avait un bouquet de fleurs à lui offrir. En l’apercevant, Higelin est surpris, ému. Il change instantanément d’attitude, s’approche d’elle, la remercie, la prend par la main. « — Est-ce que tu es déjà montée sur une scène ? Non ? Alors, n’aie pas peur, je vais te faire visiter. Ça ressemble un peu à une grande forêt, c’est plein d’ombres, tu vois… » Puis s’approchant de son musicien et ami Mahut, assis au milieu de ses percussions : « et plein de bruits bizarres… » Et tenant toujours la petite fille par la main, il lui fait arpenter tout le plateau près de la rampe, de cour à jardin, et lui montre la salle qui est plongée dans le noir : « — Et par là, tu vois quelque chose ? Non, on ne voit rien par là, mais on entend, on entend qu’il y a quelque chose, pas vrai ? On entend, ce sont eux… Tu ne trouves pas qu’on dirait un gros tas de vers de terre qui rigolent ? »

Il a ramené la petite fille à ses parents, il a posé les fleurs sur le piano, et a attaqué impeccablement sa première chanson. Et ce furent deux heures de grâce.

Le second souvenir, c’était quelques mois plus tard, lors d’un dîner, à Paris. Une amie commune nous avait invités chez elle pour que nous fassions connaissance. Il était gêné, moi aussi, ni lui ni moi ne savions trop quoi dire, la situation nous embarrassait un peu. Pendant tout le repas, l’ambiance est restée coincée. Et puis, au moment où nous nous apprêtions à prendre congé, je ne sais plus pourquoi je me suis mis à dire du Fourest. Jacques s’est mis à sourire, et à parler, la conversation s’est enclenchée d’un coup, vive, enjouée. Elle a duré jusqu’à quatre heures du matin.

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Claudine Plas-Arbon

Mon souvenir est légèrement différent du tien. De Bourges j’ai surtout gardé en mémoire les deux heures de concert jusqu’au bout de la nuit et la grâce d’Higelin (malgré la mauvaise humeur manifeste du début de soirée), ainsi que l’épisode magique de la petite fille. Quant au dîner qui suivit, je n’ai pas eu le sentiment d’une gêne de sa part. Il était intrigué par ton parcours. Plaquer une belle carrière dans l’édition pour devenir chanteur et repartir “au bas de l’échelle” comme un débutant, c’était culotté. Lui, le saltimbanque qui se vivait comme un autodidacte, cette liberté lui a plu – Fourest et La Négresse Blonde aussi.