Conversation allemande

Madame de Staël s’agaçait, dit-on, du fait qu’il était impossible d’avoir une conversation avec un Allemand, au motif qu’on ne pouvait pas interrompre un Allemand qui parle, car il fallait attendre la fin de sa phrase pour savoir ce qu’il avait à dire.

A l’inverse, il semble que les Allemands s’irritent de ce que le propre de la conversation à la française soit précisément d’interrompre son interlocuteur, et de prendre la parole en même temps que lui.

Or ces incompréhensions découlent des caractéristiques respectives des langues française et allemande : elles illustrent que chaque langue structure non seulement la pensée de ses locuteurs, mais aussi ses représentations, ses mentalités, ses moeurs.

anselm-kiefer-madame-de-stael-de-l-allemagne© Anselm Kiefer

(Pour ceux que cela intéresse, je tire toutes ces informations et anecdotes d’une passionnante interview d’Heinz Wismann qui explique tout cela fort bien : « Le français place le déterminant après le déterminé : Une tasse à café. En allemand, c’est l’inverse : Eine Kaffeetasse. Si vous appliquez ce principe à la structure de la phrase, vous obtenez une accumulation d’éléments chargés de déterminer quelque chose qui n’est formulé que plus tard (…) Cette structure syntaxique limite la spontanéité de l’échange car elle oblige l’interlocuteur à attendre la fin de la phrase pour savoir de quoi il est question. »

Inversement, si les Français « peuvent se permettre de s’interrompre, c’est parce qu’ils évoluent dans une structure syntaxique où l’essentiel est posé d’emblée et l’accessoire suit. Ainsi, le gazouillis des salons français vanté par Madame de Staël consiste à emboîter le pas à celui qui parle comme on relance un ballon, à faire circuler la parole dans un esprit de connivence. »

On voit, comme le souligne Heinz Wismann, que « c’est dans la syntaxe que se joue le choc, jubilatoire, des univers mentaux ».)

https://www.letemps.ch/culture/2012/09/24/voila-lallemand-met-verbe-fin

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