Licenciement

Du temps que je travaillais en entreprise, il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir à licencier quelqu’un. Ces jours-là, je mettais le plus grand soin à choisir ma cravate. J’en sélectionnais généralement une aux motifs vifs et colorés. C’était comme la réminiscence d’un habit de lumière. Mon bureau transformé en arène, j’allais y tuer un toro, et ma tenue devait signaler, ne fût-ce qu’à mon seul usage, que j’allais procéder à une mise à mort.

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J’ai mis du temps à en prendre conscience, mais un matin je me suis demandé : — Pourquoi fais-tu ça ? Et j’ai compris l’étrange cérémonial que j’avais mis en place, et auquel je trouvais du plaisir.

Ça m’a déplu. J’étais muni bien sûr de toutes les justifications rationnelles (c’est pour le bien du groupe ou de l’entreprise, c’est nécessaire pour sauver tel service et préserver d’autres emplois), mais au-delà de celles-ci j’ai vu qu’une part trouble et archaïque de moi-même était à l’œuvre. Moi qui me vivais comme le plus modéré des hommes, je détectais en moi une perversité inattendue, la trace légère mais réelle d’un fanatique et d’un meurtrier. J’ai eu peur. Cela révélait sur moi-même, et sur mes semblables par la même occasion, des choses que je n’aimais pas.

Peu après, je suis sorti de cet environnement professionnel. Il y eut bien des raisons à cela, mais l’une d’elles était peut-être de fuir ce « système » au sein duquel j’avais cru pouvoir m’épanouir. Chanter était tout de même plus sain.

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