Fenêtres sur le jardin

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Elle était très malade, il faisait beau. Les fenêtres de sa chambre, située au premier étage de la maison, sur le côté gauche, étaient ouvertes, et moi qui étais installé devant, au jardin, je l’entendais tousser d’une toux sèche et douloureuse. Ces deux rectangles dans la façade s’ouvraient sur une pénombre énigmatique, au fond de laquelle j’imaginais, sans m’y attarder trop, le corps souffrant et fatigué de cette femme, qui transpirait au fond de son lit en espérant le soulagement d’un moment de sommeil.

J’entendais aussi, par la fenêtre du rez-de-chaussée située du côté opposé, un de ses petits-fils, bon musicien, jouer du piano. Lui non plus je ne pouvais pas le voir. Vu l’éloignement des deux pièces, je ne crois pas que le son dérangeait sa grand-mère. Mais si elle l’entendait travailler, sans doute goûtait-elle ces morceaux d’une tonalité joyeuse, qui s’accordaient au ciel bleu et à la lumière fleurie de ce jour d’été.

Le reste de la famille vaquait aux occupations domestiques. Deux des filles de la malade s’activaient en cuisine, une troisième s’occupait de ses enfants et de ses neveux, lesquels jouaient sur la pelouse à l’arrière, en poussant des cris qui me parvenaient par le couloir qui traversait la maison.

Aucun occupant n’était visible, cependant je les entendais tous. La maison bruissait par toutes ses ouvertures. Jeux, agonie, piano se mêlaient, et il se dégageait de cette superposition une étrange harmonie. J’en éprouvais une curieuse sérénité. Bien sûr, personne ne croyait sérieusement qu’elle allait mourir, mais j’eus soudain la conviction que si cela avait néanmoins été le cas, chacun aurait fait la même chose, à la même place, et que l’arrangement sonore de la scène serait resté semblable à celui que j’entendais, sans la moindre altération, tant tout cela composait l’exacte musique de la vie.

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