Dompteurs de mots

Le poète travaille les mots. Il manipule ces objets complexes, et les assemble. 

Or un mot, c’est à la fois, pour parler le langage des sémiologues, un signifiant et un signifié; c’est à la fois, du point de vue du parolier, un sens et un son; et cela désigne à la fois, disent les psychanalystes, du réel aussi bien que du symbolique et de l’imaginaire.

Toutes ces dimensions en font un objet extrêmement délicat à manier. L’état d’inspiration, que de nombreux poètes décrivent comme un état second, serait alors une zone privilégiée mais temporaire d’où l’on pourrait à peu près appréhender ensemble tous les éléments mis en jeu. A cet endroit et dans ce moment, les mots ne se présentent plus comme des outils inertes : ils sont tellement riches, divers, puissants, qu’ils s’animent, comme des êtres autonomes, mi-animaux (ani-mots ?) mi-esprits, doués d’étranges savoirs et de magiques facultés.

C’est en tout cas ainsi que les décrivent ceux qui s’approchent d’eux au plus près. René Char, qui fut un grand dompteur de mots, écrit : « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux ». Et Pablo Neruda, qui en fut un autre : « Tout est dans le mot… Une idée entière se modifie parce qu’un mot a changé de place, ou parce qu’un autre mot s’est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l’attendait pas et lui a obéi ».

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arbon

Alors les “Petits Vieux” sont orphelins…

Ed

État second. J’ai arrêté d’écrire, j’y laissais trop de plumes.

cepheides

Je ne partage pas tout à fait cette analyse. Je pense que les mots ne sont que l’écume de la pensée. Bien sûr, il faut que celle-ci se formalise et elle le fait au travers d’un support – les mots – intelligible et surtout transmissible ( à soi-même tout d’abord). La pensée – si difficile à cerner – est probablement l’interconnexion plus ou moins obligée de schémas neuronaux. Dans ce cas, l’état second cher à nos poètes serait alors la mise en relation (suite à une physiologie particulière des catécholamines cérébrales, par exemple provoquée par un stimulus extérieur, stress, drogue, etc.) de circuits neuronaux a priori exclusifs les uns des autres. On comprend alors la “découverte” d’une pensée inhabituelle et, par voie de conséquence, de mots destinés à la traduire… Mais ce n’est, évidemment, qu’une opinion personnelle.