Angoisses d’écrivain

Il y a l’angoisse de la page blanche, que décrit ainsi Charles Juliet : « Quand tu es penché sur la page blanche, pourquoi ces inhibitions, ce blocage, cette impression que tu es attelé à une tâche aux difficultés insurmontables ? D’emblée une sensation de fatigue. La conviction que tu ne pourras qu’échouer. Cependant, tu te refuses à accepter cette fatalité de l’échec. Alors contre tout bon sens, tu avances dans la nuit… Ainsi sans fin. Ainsi cet épuisement qui te maintient en permanence à l’extrême de ce que tu peux.1 »

Il y a l’angoisse de la boite de Pandore, éprouvée par Nikos Kazantzaki : tracez des mots, et ils vous trahissent. « Les lettres de l’alphabet me terrorisent. Ce sont de mauvais génies rusés, impudiques et perfides. Dès que pour les délivrer on ouvre l’écritoire, ils s’enfuient, déchaînés, incontrôlables. Ils s’animent, s’unissent, se séparent et s’alignent tout noirs, sur le papier, avec leurs queues et leurs cornes. Et c’est en vain qu’on les rappelle à l’ordre et qu’on les supplie, ils n’en font qu’à leur tête. Ainsi, dans leur folle sarabande, ils dévoilent sournoisement ce qu’on voudrait cacher, et refusent au contraire d’exprimer ce qui, au plus profond de notre cœur, lutte pour sortir et parler aux hommes.»

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À ces deux angoisses, j’ajouterai volontiers celle de l’accroche. Trouver les premiers mots, ceux qui coulent, sonnent, s’emboîtent, s’agencent bien, ceux qui donnent l’idée et le ton, ceux auxquels il faudra rester fidèle parce qu’ils indiquent le cap qu’on s’efforcera ensuite de tenir jusqu’au bout.

1 Charles Juliet, Lambeaux (cité par Marina Tomé sur sa page FB) / 2 Nikos Kazantzaki, Le pauvre d’Assise

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Muriel

C’est un peu pareil pour le dessin. Si le premier trait n’est pas juste, si l’amorce tracé sur la feuille nue ne contient pas en puissance ce que l’on veut saisir, il n’y a plus qu’à reprendre une page vierge.