1986

En janvier 1986, la navette Challenger se désintègre une minute après son décollage. En avril 1986, le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Pour ma génération, ce double désastre marqua la fin de l’idée de progrès.

Si cela nous fut douloureux – au-delà de l’émotion provoquée par ces catastrophes -, c’est que le progrès était au fond l’idéologie véritable dans laquelle nous avions été élevés. Tout le monde y croyait. Capitalisme et socialisme, même au plus intense de la guerre froide, n’avaient jamais cessé de communier dans cette même foi : la science et la technique étaient bonnes ; grâce à elles on vivrait mieux dans le futur. L’avenir serait meilleur que le passé.

Or avec ces deux accidents, on s’aperçut soudain que, dans les deux domaines phares de la conquête de l’espace et de l’énergie atomique (les plus symboliques et les plus spectaculaires de la mainmise de l’homme sur son environnement et par conséquent sur son destin), on ne maitrisait pas les outils. Pis : on comprit que le but auquel on croyait atteindre était en réalité pour longtemps hors de portée. Pas de voyage spatial facile et bon marché, pas d’énergie abondante et sûre. Le rêve se brisait. L’humanité était brutalement ramenée à l’état précaire qui avait toujours historiquement été le sien. Elle l’avait même aggravé, puisqu’elle se retrouvait coincée dans un monde fini dont elle s’était donné les moyens de menacer involontairement la survie.

Depuis cette date, il me semble que le doute a remplacé l’optimisme. Nous ne savons plus s’il est possible de croire dans un monde meilleur, même à très long terme, puisque c’est précisément ce long terme que nous avons désormais conscience d’hypothéquer, à coup de CO2, de nuages et de radiations. Notre mode de vie même devient un danger pour la vie. C’est notre tragédie prométhéenne. Nos bonnes intentions pavent notre enfer, et nos inventions le remplissent de fumées.

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